Le contexte
Chaque année paire depuis 10 ans, Booba nous donne rendez-vous pour un nouvel album. Cette régularité rare dans le rap français est sans doute l’une des clés de sa réussite et surtout lui permettant de s’installer confortablement sur le trône tant convoité du rap game. Les années impaires sont celles de ses mixtapes baptisés « Autopsie » qui sortent elles aussi de manière régulière depuis 2005. Sur son dernier projet « Autopsie 4 », on est prévenu dans un des morceaux phares : "Vaisseau Mère", « j’suis dans le turfu, le vaisseau mère, je ne vous aime pas non plus niquez vos mères ». Alors quand il annonce le titre de son nouvel album « Futur », on n’est pas surpris. On est plutôt enthousiaste d’autant plus que certains sons de sa dernière mixtape auraient largement leur place dans n’importe quel album de Rap Français du même registre. On est enthousiaste aussi parce que depuis 2008, il semble tourner un peu en rond, ou du moins son évolution est peu sensible contrairement à ce qu’il nous avait habitué à ses débuts. « Futur » sonne comme un détachement à ce qu’il a habitude de faire ces dernières années. Comme si à bord du vaisseau mère nous allions atterrir sur une planète jamais exploré.
La promotion
Comme pour chacun de ses albums le contexte de sortie est toujours particulier. « Futur » ne déroge pas à la règle et comme très souvent la concurrence avec son plus grand rival Rohff, est au cœur des débats dans un climat de clashs virulents. Alors que Booba annonce partout un premier extrait à découvrir intitulé « Caramel », la sortie verbale de Rohff à l’antenne de Skyrock, qui traite Booba de « zoulette » va tout faire chambouler. Booba revoit son plan de promo. Caramel attendra. A la place « Wesh Morray » lance les hostilités et sonne aux oreilles de qui veut l’entendre comme une réaction aux propos de Rohff à la radio. Bien que Booba démente de clasher son rival, il reconnait volontiers qu’il savait que le morceau allait faire jaser. Il s’imaginait peut être moins que la réponse de Rohff dans son « wesh zoulette » serait aussi violente, ce dernier allant jusqu’à insulter la mère à Booba. Raison pour laquelle Booba décide de ne pas répondre en musique.
Malgré tout la promo de "Futur" n’est pas déstabilisée pour autant. Au contraire les clashs c’est du pain béni pour le buzz, en bien ou en mal les gens en parlent et c’est l’essentiel.
La pochette
La cover de l’album qui rappelle beaucoup celle de l’album « Panthéon » a été dévoilé quelques semaines avant la sortie. Si la légende veut que Booba sorte un bon album sur deux et que par conséquent, il faut etre pessimiste pour « Futur », une autre superstition s’est rajoutée à la vue de la pochette de l’album. En effet ses moins bons projets sont ceux où il pose torse nu sur la pochette. Bref on n’a pas envie d’y croire…
La production
Parlons maintenant de l’album. Notre question préférée : Qu’est ce qu’il y a donc de futuriste dans cet album ?
En grande partie signées par le duo Therapy qui travaille depuis un moment avec lui, les beats de l’album ne répondent pas positivement à la question surtout si on écoute un minimum de Trap US. En France, il est vrai que cette couleur est rare mais pas inédite. On est quand même un peu lassé par la redondance de certains rythmes voire mélodies au point d’avoir l’impression de toujours écouter le même son. Mais il y a tout de meme des OVNI, comme le morceau éponyme « Futur » avec son instru posé gâché par un Booba au flow autotuné peu inspiré dans la mélodie de son chant ou encore « Jimmy » et sa vibe reggae . Il se rattrape sur « Tout ce que j’ai » qui est sans contestation le meilleur morceau avec l’utilisation de l’autotune dans l’album. Pas très dur diront les mauvaises langues, car « Jimmy » et « Tombé Pour elle » n’arrivent pas à la cheville d’un « Scarface ».
Autotune, flow, Hashtag et gimmick
L’autotune est donc omniprésent sur l’album (refrains mais aussi morceaux entiers). En 2012, à vrai dire ce procédé de modification de la voix n’a rien de futuriste. Aux States son utilisation a considérablement diminué. Booba semble s’acharner sur une technique qu’il ne maitrise pas toujours au point de croire pouvoir s’en passer d’inviter des chanteurs. Alors il est où le « Futur » finalement dans cet album ? Il semblerait que Booba ait surtout misé sur son flow. Plus travaillé que jamais. Seulement complexité ne veut pas forcément dire efficacité. Autrement dit le flow ce n’est pas uniquement de la technique. Si on peut noter de réels progrès dans la variation du flow (chant, fast flow). C’est un bien pour un mal puisque les lyrics perdent le coté hypnotisant qui était sa marque de fabrique. C’est assez surprenant en effet de ne parfois retenir aucune ligne dans un couplet de Booba. La diction qui était son point fort est parfois bâclée sur certains sons comme « Rolex », qui est pourtant parmi les meilleurs sons de cet opus. Booba use beaucoup du verlan dans ses rimes à l’exemple du premier couplet du morceau étrangement intitulé « Maitre Yoda » qui ajoute une certaine technicité. L’album est aussi marqué par les gimmick, comme le témoigne « Wesh Morray » premier extrait au succès mitigé mais au refrain diablement efficace, sur lequel le blaze de Willy Denzey est rappé à la Rick Ross. On a droit aussi à des gimmicks pour le moins marrant "tir de ro-qué-qué-qué-te, grosse qué-qué-qué-quette" sur « Maki Sall Musik ». On note aussi de nombreuses phrases utilisant le « Hashtag », un concept né sur Twitter et largement utilisé par la clique YMCMB qui consiste à sortir un mot-clé résumant la phrase précédente. Illustration : « J’suis tombé dedans quand j’étais ti-peu : Astérix ».
Les invités
Rozay justement invité de marque de l’album avec 2 Chainz, nouvelle sensation du rap outre atlantique, viennent se poser respectivement sur le très bon « 1.8.7 » gâché par un refrain autotuné, d’une inefficacité rare et l’egotrip « C’est la vie », à la fois violent et mélodieux. Les deux sons assurent le minimum syndical, ca ne vole pas très haut lyricalement mais les prestations des mc’s sont correctes. Les autres invités de l’album sont Kaaris et Gato, découverts notamment sur A4. Kaaris impressionne et pose un couplet remarquable sur le redoutable « Kalash », et Gato est à l’aise sur « Rolex ». Mala éternel habitué des albums de Booba est au rendez-vous sur « O.G. », malheureusement pour sa plus mauvaise prestation dans un album de Kopp, avec un chant exagérément autotuné. Un gâchis qui rend le son quasi inaudible.
Lyrics et thématiques
Il est à noter également une chose rare dans un album de B2o, c’est la présence de quelques morceaux à thèmes. « Jimmy » parle d’un jeune du bled débarqué en métropole qui essaie de s’en sortir malgré les bâtons dans les roues, « 2 Pac » est un hommage à son ex-collègue du 92i et meilleur ami Bram’s, décédé en 2011, « tombé pour elle » est une déclaration d’amour à la rue. On ne peut pas dire que tout ca soit très original comme thèmes mais pour Booba c’est important de souligner.
Les lyrics de l’album sont peut être la grande déception pour le public habitué des métaphores et du sens de la formule de Booba. Ici les punchlines son réduites à leur définition basique, « phrases chocs » et ont perdu l’une des particularités de Booba, à savoir le côté métaphotique. Entre arrogance « j’suis dans les airs t’es dans les bouchons / j’ai un portefeuille à damier t’as rien à damer / Tu l’as dans ton pecli, je l’ai dans mon parking ou encore le déjà très célèbre : ma question préférée, qu’est ce que je vais faire de tout cet oseille ?» et insultes envers l’arbre généalogique de ses rivaux et tout ceux envers qui il a très peu d’estime (Nique sa mère elle aussi, son arrière grand-mère aussi). On compte très peu de lignes subtiles au point qu’une phrase comme « je ne te vois plus nulle part sauf quand je ferme les yeux » adressée à son ami défunt Bram’s, dans le morceau le plus réussi de l’album « 2 Pac », sonne comme un exploit lyrical. A défaut de subtilité, Booba garde toujours son sens de l’humour. « Je te vois tout petit parce que je te regarde du hublot », « supplément Merguez, je me suis embourgeoisé » ou encore « je ne suis plus dans la merde sauf quand j’encule un tapin »
Conclusion :
Soyons franc, « Futur » est plutôt une déception pour un album d’un artiste de l’envergure de Booba surtout par rapport aux ambitions affichées par le titre de l’album. L’homogénéité est ici loin d’être une qualité. Ca manque de variété même si l’album se divise en deux parties, il y a les morceaux chantés et les morceaux avec la vibe du south. La déception vient surtout du fait qu’aucun titre ne peut espérer rentrer dans un top 30 de l’artiste. Le titre en bonus « Billets verts », « 2 Pac » et « Kalash », sont au dessus de la mêlée, mais ca reste un niveau relativement moyen pour Booba. Malgré tout il y a une certaine force inexplicable qui fait qu'on se surprend à aimer au fil des écoutes même si l'on est pertinemment conscient du niveau qui baisse.
Chronique réalisée par Tim Boot
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